Carte blanche par Saskia Bricmont, Députée européenne, membre de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, Laurence Hennuy, vice-présidente de la commission spéciale Covid-19 de la Chambre, Magali Plovie, Députée à la région bruxelloise et Patrick Dupriez, Président d’Etopia.
Ces dernières semaines, suite aux demandes pressantes de pays comme la Grèce ou le Portugal qui pensent y trouver la clé de la reprise des activités touristiques et à l’annonce de la Commission européenne d’une proposition de « green digital pass » pour le Conseil de ce 17 mars, l’introduction d’un passeport ou certificat vaccinal* fait débat.
A juste titre. Plusieurs raisons nous opposent à une telle approche bien que nous comprenions parfaitement que certains secteurs puissent l’envisager comme une issue à l’asphyxie de leur activité. Comme souvent, la question n’est pas si simple.
Une atteinte à la vie privée et un tracing santé
Tout d’abord, la question intervient dans un contexte général de recul des droits fondamentaux, en ce compris le droit à la protection de la vie privée. De toute part, ces droits se voient menacés au nom de la lutte contre la pandémie et/ou dans un contexte de pouvoirs spéciaux octroyés aux Gouvernements en Europe. Aucune disposition liberticide ne devrait être prise sans véritable débat démocratique préalable – lequel n’a lieu ni au Conseil, ni à la Commission européenne. Le Parlement européen sera associé mais il n’en va pas de même des Parlements nationaux, et ce, alors que l’on peut craindre l’extension de cette approche au-delà des seuls déplacements intra-européens. Une fois l’idée de Passeport vaccinal (ou « Green digital pass » pour voyager) instauré, celle du certificat de vaccination pour participer à certains types d’activités se posera. Un tel dispositif dans une optique de sécurité sanitaire pourrait par ailleurs rapidement devenir permanent, même au sein de l’espace Schengen qui consacre pourtant la liberté de circulation. Permanent et s’étendre ensuite à d’autres données de santé.
Du grand baromètre Le Soir/ RTL Info/ Ipsos, il ressort que cette question divise les belges, tout comme celle du caractère obligatoire du vaccin qui lui est intimement liée.
En effet, introduire un passeport vaccinal, ou certificat de vaccination reviendrait à rendre la vaccination obligatoire pour voyager dans le premier cas, pour participer à des activités ou secteurs qui l’exigent dans le second. L’obligation vaccinale, qui est aujourd’hui très limitée (accès aux crèches ONE par exemple), deviendrait la norme ce qui est contraire au fondement de nos démocraties qu’est la liberté de choix et au critère de proportionnalité avec le but poursuivi. Cette obligation induit aussi un échange: l’accès au voyage et d’autres services ou activités « en échange » d’un passeport ou certificat, est-ce de cette manière que l’on envisage l’adhésion des citoyens européens à la vaccination ? Les données des individus qui « consentent » à un tel passeport seraient-elles anonymisées de telle sorte qu’ils ne puissent être identifiés ? Qui aurait accès à ces données, dans quelles bases de données seraient-elles introduites, qui en assurerait la gestion, seraient-elles liées à d’autres bases de données ? Ces questions renvoient à la précieuse protection de la vie privée et des données personnelles.
Après les voyages, l’accès aux activités et services?
On peut aisément entrevoir l’étape suivante : une fois introduit pour voyager en Europe (voir au-delà), il pourrait alors servir de laissez-passer pour accéder à des activités culturelles, à la restauration, à l’accès aux cours, à des services… afin que toutes ces activités, tout comme le tourisme, puissent reprendre leur cours. Une revendication somme toute légitime de ces secteurs dont le besoin vital de reprise des activités n’est pas à démontrer. Ici aussi une multitude de questions devraient trouver réponse : quels secteurs pourraient exiger un certificat et qui les déterminera (le Parlement?) ; qui serait habilité à accéder aux informations qu’il contient ; un employeur aurait-il le droit d’exiger l’accès à des informations de santé qui relèvent de la vie privée de ses travailleurs ; un restaurateur de refuser un client (on n’ose imaginer les petites villes où l’anonymat n’est pas de mise…) ; une personne non vaccinée pour raisons de santé, contre-indications médicales ou autre facteur objectif, ou simplement parce qu’elle n’a pas encore eu l’occasion de se faire vacciner serait-elle exemptée ou n’aurait-elle plus le droit de voyager voire de participer à des activités qui exigent de « montrer patte blanche » ; ces personnes obtiendraient-elles des dérogations ? Auquel cas, et le contraire serait anti-démocratique, elles continueraient à circuler et à participer à des activités.
Des discriminations et une société duale, les jeunes à nouveau impactés
Dans ce dernier cas de figure, convenons-en, une personne non vaccinée deviendrait potentiellement responsable ou pointée du doigt si le virus venait à se propager à partir d’un lieu où elle se serait trouvée ou d’une activité à laquelle elle aurait participé. Outre la stigmatisation, la réprobation sociale, nous verrions émerger une société « à deux vitesses » dès l’instauration d’un tel système tant que tout le monde ne sera pas vacciné, et au-delà, une fois que ne resteront que les personnes non vaccinées pour raisons médicales ou autres exceptions. Et que dire des jeunes qui, en tout état de cause, seront les derniers vaccinés. Seront-ils condamnés à rester dans leur pays alors que leurs parents et grands-parents pourraient partir en vacances ?
Si le maintien d’un test covid et des mesures de quarantaine resteraient d’application pour ces personnes, pourquoi ne pas maintenir ce système pour tous les autres ? En facilitant, y compris financièrement, l’accès aux tests rapides ? A ce jour en effet, il semblerait que rien n’indique qu’une personne vaccinée ne puisse être porteuse et transmettre le virus, ni détermine la durée de l’efficacité des anticorps. De même que le test n’empêche pas les faux négatifs… dans le contexte actuel, il semble donc disproportionné de viser la sécurité sanitaire absolue et tout aussi disproportionné d’introduire un passeport/certificat vaccinal dont les conséquences en matière de droits et libertés sont quant à elles totalement disproportionnées.
Pour une société libre et des réponses structurelles à la pandémie
Enfin, c’est sans doute la question la plus fondamentale : quel type de société post-covid souhaitons-nous ? Sommes-nous réellement prêts à renoncer aux valeurs et débats démocratiques, au respect des droits fondamentaux, à la liberté de choix, de circulation au sein de l’espace Schengen, de voyage, de culture, à ouvrir la porte à des risques de discrimination, de stigmatisation? Une telle restriction à la liberté de circulation, dans le cas du passeport vaccinal, est-elle proportionnée au regard de l’objectif visé ? L’objectif visé étant celui d’une sécurité sanitaire absolue alors que d’autres virus feront leur apparition dans les années à venir. Même un caractère transitoire à ce type de mesure, dont il faudrait encore pouvoir évaluer l’impact sanitaire, sans débat démocratique constituerait un précédent.
Nous avons, depuis le début de cette pandémie, vu que des mesures transitoires ont tendance à se prolonger. Par ailleurs, outre un accès totalement inégalitaire aux vaccins sur le plan mondial, l’émergence d’une société duale basée sur le vaccin prend forme : Israël et la Grèce ont conclu un accord bilatéral sur l’autorisation de voyages des personnes vaccinées.
Une approche de gestion du risque, couplée au débat démocratique, avec le maintien et la réaffirmation des droits et libertés fondamentales, l’absence de mesures liberticides disproportionnées et discriminatoires, et des remparts démocratiques en cas de crise sanitaire, sont les ingrédients du type de société dans lequel les écologistes envisagent l’après. La crise sanitaire que nous traversons doit nous interroger sur nos politiques et nos pratiques, sans tenter de mettre des pansements ni détourner le débat vers une solution disproportionnée au regard de ce qui paraît bien plus déterminant aujourd’hui pour assurer notre avenir : transformer tout ce qui est à l’origine de cette crise. A commencer par exemple, par des modes de transport et la transition vers un tourisme durables et la préservation de notre biodiversité.